Comment la députée des Deux-Sèvres s'est imposée au Parti Socialiste
Par David Revault d'Allonnes
LIBERATION.FR : jeudi 16 novembre 2006
En tailleur blanc, elle se détache, seule femme au milieu d'hommes en costume sombre. En ce 3 avril 2004, le Parti socialiste fête son quasi grand chelem des élections régionales, qui est aussi la première victoire d'envergure depuis le 21 avril 2002. A la tribune du conseil national du PS, parmi les nouveaux héros de la vague rose, Ségolène Royal truste la photo souvenir. Avec la manière - 46,29 %, le meilleur score national des candidats socialistes -, elle vient d'emporter une prise de choix, le Poitou-Charentes de Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre. Raymond Forni, tout nouveau président de Franche-Comté, l'y félicite même d'un baisemain.Pour beaucoup, cette image marquera la véritable irruption de Ségolène Royal dans le jeu socialiste, la genèse de son irrésistible progression vers l'investiture présidentielle. Au parti, ils lui ont même donné un nom, un peu comme à une fresque classique : «la femme en blanc au milieu des hommes en noir». «La Victoire de Samothrace, résume Michel Sapin, président de la région Centre. La possibilité de vaincre, la crédibilité électorale. Elle avait gagné contre le Premier ministre, ou presque. Et porter le talisman de la victoire, c'est efficace dans un parti d'élus.»Ce jour-là, au PS, ils sont plusieurs à avoir compris: «Pour elle, ce n'était pas une fin, mais un moyen, se rappelle un proche de DSK. Honnêtement, on était loin de penser à l'époque qu'elle courait pour la première place. Mais nous avons pris conscience qu'elle n'allait pas s'arrêter là.»Une élue d'abord en retraitA l'époque, la compagne du premier secrétaire, députée des Deux-Sèvres depuis 1988, jouit déjà d'une jolie cote dans l'opinion, mais pas des ressources traditionnellement requises pour séduire le parti. «Jamais eu de club», lâche Julien Dray, porte-parole du PS. «Jamais participé aux bricolages des congrès», assure son aide de camp Patrick Mennucci. «Jamais beaucoup parlé dans les conseils nationaux, rappelle l'avocat Jean-Pierre Mignard, ami de longue date du couple Hollande-Royal. Il y a toujours eu chez elle une certaine appréhension devant le rituel, la logomachie du parti. Elle n'était pas à l'aise avec le langage du PS.»Davantage que du lexique canonique des socialistes, Royal, tout au long de la campagne interne, aura effectivement usé de ses propres mots, «ordre juste» et «démocratie participative». Prenant ses libertés avec le projet du PS, elle a, de «carte scolaire» en «jury citoyen», fait scandale par ses propositions jugées droitières, populistes. Au point de fournir force munitions à des rivaux empressés de la flinguer, et d'hérisser nombre de socialistes. Mais l'icône Ségolène l'a emporté sur Royal l'iconoclaste. Au coup de sifflet final, elle vient d'être désignée comme la mieux armée pour défendre les couleurs du PS en 2007, et devient, à 53 ans, la première femme de l'histoire de la République en mesure de l'emporter dans la course à l'Elysée.Son laboratoire poitevinLe candidat Chirac avait fait de la mairie de Paris son camp de base. Pour Ségolène Royal, la prise de l'investiture passe par le Poitou. Au cours du match des prétendants socialistes, face à deux anciens ministres des Finances, elle a, autant que sa conquête du pouvoir régional, mis en scène l'expérience de son exercice. Evoqué à l'envi ses réalisations locales. Raisonné à l'échelon régional, même sur les questions d'immigration. Conseillère sur les questions sociales et environnementales du président Mitterrand dès 1982, trois fois ministre (de l'Environnement sous Bérégovoy, déléguée à l'Enseignement scolaire puis à la Famille et à l'Enfance sous Jospin), elle avait déjà manifesté un goût prononcé pour les mesures palpables et ciblées : congé paternité ou pilule du lendemain dans les collèges et lycées, délégation de l'autorité parentale ou lutte contre le bizutage. «Des mesures qualifiées de microscopiques, mais importantes et emblématiques, résume Christophe Chantepy, responsable du site Désir d'avenir. Elle estime qu'un certain nombre de sujets, bien que considérés comme non politiques, concernent la vie quotidienne des gens et doivent être réintégrés dans l'action publique.» Gratuité des livres scolaires, budget participatif des lycées, réorientation des aides économiques aux entreprises, résolution symbolique contre les essais d'OGM : la même inclination pour les dispositions concrètes préside désormais aux choix de la région Poitou-Charentes.«Ségolène a toujours eu une passion pour les questions de société, la drogue, le tabac, l'éducation, la ruralité par rapport à la ville, raconte son ami Jean-Pierre Mignard. François, lui, avait une fascination pour la vie interne du PS.»Septembre 2005: «Ça peut arriver»De l'avis de tous, François Hollande était le candidat naturel du parti jusqu'à la victoire du non au référendum, qui divise le parti et met à mal son autorité. Pour Royal, la voie est libre. «Pendant longtemps, elle a été prête à mettre sa popularité au service de François, jure un proche. Mais quand elle a vu ses difficultés, elle a crânement joué sa carte.» C'est au mois de septembre 2005, lors des journées parlementaires de Nevers, que la question de sa candidature est posée très sérieusement pour la première fois. C'est l'académicien Jean-Marie Rouart qui s'en charge, dans Paris-Match. Ségolène Royal, qui pose avec Flora, sa plus jeune fille, répond sans fard : «Ça peut arriver.» Le jeu, illico, se durcit. «Qui va garder les enfants ?» s'inquiète, cruel, Laurent Fabius, qui, comme les autres, n'y croit pas. «A l'époque, tout le monde a pensé que c'était totalement saugrenu, se souvient un proche de la candidate. C'est leur première grave erreur.»La tendance se précise pourtant deux mois plus tard, au congrès du Mans. Comme d'habitude, Ségolène Royal n'est pas intervenue à la tribune. Mais c'est elle qui a fait le plus de bruit. Les sondages, déjà, la placent en tête à gaucheŠ Le doute n'est plus permis. Un membre d'une équipe rivale : «Elle ne se bat pas pour être au bureau national, elle refuse de prendre la parole au congrès [Š]. Il était clair qu'elle ne voulait pas se mettre dans le jeu. On s'est dit : "C'est parti."» Pourtant, personne ne bouge. Fabius, Jospin, Strauss-Kahn nourrissent un calcul commun : que la candidature de Ségolène Royal, en faisant obstruction à celles des autres, serve la leur. «Les éléphants passent leur temps à s'épier, résume un proche. Et elle profite de ce surplace pour avancer.»Au Chili, en janvierLe congrès du Mans, après les déchirements du référendum, devait être celui de la synthèse. Il se révèle celui de la nouvelle hypothèse Royal. Reste à tester sa pérennité. Car les socialistes ne se bousculent pas autour d'elle. «On était très isolés», rappelle Patrick Mennucci, qui a basculé en faveur de la prétendante en l'accompagnant au Chili, en janvier. Un coup de maître : alors que le gratin de la Socialie est à Jarnac, sous une pluie battante, pour le dixième anniversaire de la mort de François Mitterrand, Ségolène Royal, à Santiago du Chili, rencontre Michelle Bachelet, élue présidente quelques jours plus tard. «Tous commémorent Mitterrand, et pendant ce temps, elle est dans l'action», se souvient un membre de son équipe. Le voyage est diversement apprécié. Mais Royal, déjà, a un coup d'avanceŠL'élu socialiste, par nature, n'est guère porté sur l'aventurisme électoral. Mais la cote de popularité de Royal, mesurée dans les sondages et les réunions publiques, va assurer à son entreprise politique des parts de marché croissantes. «Là où elle allait, elle faisait un tabac énorme, et des échos ont commencé à nous revenir, explique son porte-parole Jean-Louis Bianco. Beaucoup de gens étaient bluffés par son sens du contact. Et un certain nombre de socialistes se sont dit: "Il se passe quelque chose."» Un engouement qui dépasse le parti. En Ardèche, en mars, elle attire un millier de militants à Privas- 400 de plus que n'en compte la fédération - pour contester à la droite «le monopole de la justice et de l'ordre». A Lille, en juin, elle retourne une salle chauffée à blanc par ses déclarations sur «l'encadrement militaire» des mineurs délinquants. «Petit à petit, on a vu le truc monter, poursuit Bianco. Des députés commencent à s'intéresser, des responsables fédéraux, à téléphoner, les fédés, à tomber. On est passé du : "Elle pourrait être candidate" à "On lui trouve des qualités présidentielles".» Des présidents de région, autour de Jacques Auxiette, patron de la région Pays-de-la-Loire ; des barons, comme Pierre Mauroy ou Gérard Collomb, maire de Lyon ; des jeunes loups, comme Arnaud Montebourg ou Vincent Peillon ; des responsables fédéraux : jusque-là réticents ou attentistes, nombre d'élus du PS, petits ou grands, font leur outing. Pour ces professionnels du suffrage universel, seule la victoire est belle. Et Royal semble en mesure de la leur procurer. Un proche d'un concurrent résume : «Les membres de l'appareil se sont dit : "Elle est tellement populaire que personne ne peut la battre. Si je ne prends pas position pour elle, je perdrai mon canton, ma ville."»Les larmes de JospinQuand le dernier round démarre, fin août à l'université d'été de La Rochelle, il est déjà trop tard. Les larmes aux yeux, Lionel Jospin tente le come-back, brandissant sa légitimité et la «culture» du parti. Mais Ségolène Royal ne lâche rien. «Elle a alors montré sa force, souligne un proche. Elle l'a défié: "J'irai jusqu'au bout, et il faudra venir me chercher."» Elle organise son équipe de campagne, nomme ses porte-parole, aligne les soutiens. Et l'ancien Premier ministre jette l'éponge. Royal, au fond, n'a guère le sens des préséances. Elle l'avait déjà montré en 1995, quand elle s'était présentée aux municipales à Niort contre le maire PS sortant. Ou en 1997, quand elle ambitionnait de disputer le perchoir de l'Assemblée à Laurent Fabius. «Pour elle, il n'y a pas de loi salique, analyse Jean-Pierre Mignard, tout le monde peut.»Plus jeune déjà, Marie-Ségolène Royal, en famille, «y était allée à bras raccourcis», poursuit Mignard. Au point d'assigner son père, Jacques, en justice, officier autoritaire et traditionaliste, pour qu'il s'acquitte de sa pension alimentaire. Devenue professionnelle de la politique, aurait-elle érigé l'émancipation en ambition électorale ? «On a toujours senti chez elle la volonté, parfois la crispation, de quelqu'un qui s'est fait à la force du poignet, résume Michel Sapin. Sur le thème : "Je sais ce que c'est de souffrir, je ne suis pas comme les fils de bourgeois." Elle a de l'audace. Ce qui peut paraître comme une impertinence à ses concurrents.»Ceux-ci, au fond, ont-ils vraiment cru en Royal ? Après l'abandon de Hollande, qui aura espéré jusqu'en septembre, Fabius et Strauss-Kahn, jusqu'au bout, n'auront de cesse de dégonfler la «bulle» sondagière et de démontrer l'absence de «fond» présumée de leur rivale. Un harcèlement de tous les instants, de l'affaire de la vidéo sur «les 35 heures au collège» en passant par le concerto en sifflets et lazzis du Zénith. Qui n'aura d'autre effet que d'effriter de quelques points l'imperturbable cote de la candidate. Leur mauvaise opinion de l'élue des sondages n'aurait-elle pas endormi la vigilance politique de ses rivaux ? «Ils vivent cette histoire comme un mauvais rêve, ironise un proche de la candidate. Et pensent toujours qu'il y aura un réveil.» Celui-ci a sonné en pleine nuit, retentissant.
Les best-sellers politiques
LIBERATION.FR : jeudi 16 novembre 2006
En tailleur blanc, elle se détache, seule femme au milieu d'hommes en costume sombre. En ce 3 avril 2004, le Parti socialiste fête son quasi grand chelem des élections régionales, qui est aussi la première victoire d'envergure depuis le 21 avril 2002. A la tribune du conseil national du PS, parmi les nouveaux héros de la vague rose, Ségolène Royal truste la photo souvenir. Avec la manière - 46,29 %, le meilleur score national des candidats socialistes -, elle vient d'emporter une prise de choix, le Poitou-Charentes de Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre. Raymond Forni, tout nouveau président de Franche-Comté, l'y félicite même d'un baisemain.Pour beaucoup, cette image marquera la véritable irruption de Ségolène Royal dans le jeu socialiste, la genèse de son irrésistible progression vers l'investiture présidentielle. Au parti, ils lui ont même donné un nom, un peu comme à une fresque classique : «la femme en blanc au milieu des hommes en noir». «La Victoire de Samothrace, résume Michel Sapin, président de la région Centre. La possibilité de vaincre, la crédibilité électorale. Elle avait gagné contre le Premier ministre, ou presque. Et porter le talisman de la victoire, c'est efficace dans un parti d'élus.»Ce jour-là, au PS, ils sont plusieurs à avoir compris: «Pour elle, ce n'était pas une fin, mais un moyen, se rappelle un proche de DSK. Honnêtement, on était loin de penser à l'époque qu'elle courait pour la première place. Mais nous avons pris conscience qu'elle n'allait pas s'arrêter là.»Une élue d'abord en retraitA l'époque, la compagne du premier secrétaire, députée des Deux-Sèvres depuis 1988, jouit déjà d'une jolie cote dans l'opinion, mais pas des ressources traditionnellement requises pour séduire le parti. «Jamais eu de club», lâche Julien Dray, porte-parole du PS. «Jamais participé aux bricolages des congrès», assure son aide de camp Patrick Mennucci. «Jamais beaucoup parlé dans les conseils nationaux, rappelle l'avocat Jean-Pierre Mignard, ami de longue date du couple Hollande-Royal. Il y a toujours eu chez elle une certaine appréhension devant le rituel, la logomachie du parti. Elle n'était pas à l'aise avec le langage du PS.»Davantage que du lexique canonique des socialistes, Royal, tout au long de la campagne interne, aura effectivement usé de ses propres mots, «ordre juste» et «démocratie participative». Prenant ses libertés avec le projet du PS, elle a, de «carte scolaire» en «jury citoyen», fait scandale par ses propositions jugées droitières, populistes. Au point de fournir force munitions à des rivaux empressés de la flinguer, et d'hérisser nombre de socialistes. Mais l'icône Ségolène l'a emporté sur Royal l'iconoclaste. Au coup de sifflet final, elle vient d'être désignée comme la mieux armée pour défendre les couleurs du PS en 2007, et devient, à 53 ans, la première femme de l'histoire de la République en mesure de l'emporter dans la course à l'Elysée.Son laboratoire poitevinLe candidat Chirac avait fait de la mairie de Paris son camp de base. Pour Ségolène Royal, la prise de l'investiture passe par le Poitou. Au cours du match des prétendants socialistes, face à deux anciens ministres des Finances, elle a, autant que sa conquête du pouvoir régional, mis en scène l'expérience de son exercice. Evoqué à l'envi ses réalisations locales. Raisonné à l'échelon régional, même sur les questions d'immigration. Conseillère sur les questions sociales et environnementales du président Mitterrand dès 1982, trois fois ministre (de l'Environnement sous Bérégovoy, déléguée à l'Enseignement scolaire puis à la Famille et à l'Enfance sous Jospin), elle avait déjà manifesté un goût prononcé pour les mesures palpables et ciblées : congé paternité ou pilule du lendemain dans les collèges et lycées, délégation de l'autorité parentale ou lutte contre le bizutage. «Des mesures qualifiées de microscopiques, mais importantes et emblématiques, résume Christophe Chantepy, responsable du site Désir d'avenir. Elle estime qu'un certain nombre de sujets, bien que considérés comme non politiques, concernent la vie quotidienne des gens et doivent être réintégrés dans l'action publique.» Gratuité des livres scolaires, budget participatif des lycées, réorientation des aides économiques aux entreprises, résolution symbolique contre les essais d'OGM : la même inclination pour les dispositions concrètes préside désormais aux choix de la région Poitou-Charentes.«Ségolène a toujours eu une passion pour les questions de société, la drogue, le tabac, l'éducation, la ruralité par rapport à la ville, raconte son ami Jean-Pierre Mignard. François, lui, avait une fascination pour la vie interne du PS.»Septembre 2005: «Ça peut arriver»De l'avis de tous, François Hollande était le candidat naturel du parti jusqu'à la victoire du non au référendum, qui divise le parti et met à mal son autorité. Pour Royal, la voie est libre. «Pendant longtemps, elle a été prête à mettre sa popularité au service de François, jure un proche. Mais quand elle a vu ses difficultés, elle a crânement joué sa carte.» C'est au mois de septembre 2005, lors des journées parlementaires de Nevers, que la question de sa candidature est posée très sérieusement pour la première fois. C'est l'académicien Jean-Marie Rouart qui s'en charge, dans Paris-Match. Ségolène Royal, qui pose avec Flora, sa plus jeune fille, répond sans fard : «Ça peut arriver.» Le jeu, illico, se durcit. «Qui va garder les enfants ?» s'inquiète, cruel, Laurent Fabius, qui, comme les autres, n'y croit pas. «A l'époque, tout le monde a pensé que c'était totalement saugrenu, se souvient un proche de la candidate. C'est leur première grave erreur.»La tendance se précise pourtant deux mois plus tard, au congrès du Mans. Comme d'habitude, Ségolène Royal n'est pas intervenue à la tribune. Mais c'est elle qui a fait le plus de bruit. Les sondages, déjà, la placent en tête à gaucheŠ Le doute n'est plus permis. Un membre d'une équipe rivale : «Elle ne se bat pas pour être au bureau national, elle refuse de prendre la parole au congrès [Š]. Il était clair qu'elle ne voulait pas se mettre dans le jeu. On s'est dit : "C'est parti."» Pourtant, personne ne bouge. Fabius, Jospin, Strauss-Kahn nourrissent un calcul commun : que la candidature de Ségolène Royal, en faisant obstruction à celles des autres, serve la leur. «Les éléphants passent leur temps à s'épier, résume un proche. Et elle profite de ce surplace pour avancer.»Au Chili, en janvierLe congrès du Mans, après les déchirements du référendum, devait être celui de la synthèse. Il se révèle celui de la nouvelle hypothèse Royal. Reste à tester sa pérennité. Car les socialistes ne se bousculent pas autour d'elle. «On était très isolés», rappelle Patrick Mennucci, qui a basculé en faveur de la prétendante en l'accompagnant au Chili, en janvier. Un coup de maître : alors que le gratin de la Socialie est à Jarnac, sous une pluie battante, pour le dixième anniversaire de la mort de François Mitterrand, Ségolène Royal, à Santiago du Chili, rencontre Michelle Bachelet, élue présidente quelques jours plus tard. «Tous commémorent Mitterrand, et pendant ce temps, elle est dans l'action», se souvient un membre de son équipe. Le voyage est diversement apprécié. Mais Royal, déjà, a un coup d'avanceŠL'élu socialiste, par nature, n'est guère porté sur l'aventurisme électoral. Mais la cote de popularité de Royal, mesurée dans les sondages et les réunions publiques, va assurer à son entreprise politique des parts de marché croissantes. «Là où elle allait, elle faisait un tabac énorme, et des échos ont commencé à nous revenir, explique son porte-parole Jean-Louis Bianco. Beaucoup de gens étaient bluffés par son sens du contact. Et un certain nombre de socialistes se sont dit: "Il se passe quelque chose."» Un engouement qui dépasse le parti. En Ardèche, en mars, elle attire un millier de militants à Privas- 400 de plus que n'en compte la fédération - pour contester à la droite «le monopole de la justice et de l'ordre». A Lille, en juin, elle retourne une salle chauffée à blanc par ses déclarations sur «l'encadrement militaire» des mineurs délinquants. «Petit à petit, on a vu le truc monter, poursuit Bianco. Des députés commencent à s'intéresser, des responsables fédéraux, à téléphoner, les fédés, à tomber. On est passé du : "Elle pourrait être candidate" à "On lui trouve des qualités présidentielles".» Des présidents de région, autour de Jacques Auxiette, patron de la région Pays-de-la-Loire ; des barons, comme Pierre Mauroy ou Gérard Collomb, maire de Lyon ; des jeunes loups, comme Arnaud Montebourg ou Vincent Peillon ; des responsables fédéraux : jusque-là réticents ou attentistes, nombre d'élus du PS, petits ou grands, font leur outing. Pour ces professionnels du suffrage universel, seule la victoire est belle. Et Royal semble en mesure de la leur procurer. Un proche d'un concurrent résume : «Les membres de l'appareil se sont dit : "Elle est tellement populaire que personne ne peut la battre. Si je ne prends pas position pour elle, je perdrai mon canton, ma ville."»Les larmes de JospinQuand le dernier round démarre, fin août à l'université d'été de La Rochelle, il est déjà trop tard. Les larmes aux yeux, Lionel Jospin tente le come-back, brandissant sa légitimité et la «culture» du parti. Mais Ségolène Royal ne lâche rien. «Elle a alors montré sa force, souligne un proche. Elle l'a défié: "J'irai jusqu'au bout, et il faudra venir me chercher."» Elle organise son équipe de campagne, nomme ses porte-parole, aligne les soutiens. Et l'ancien Premier ministre jette l'éponge. Royal, au fond, n'a guère le sens des préséances. Elle l'avait déjà montré en 1995, quand elle s'était présentée aux municipales à Niort contre le maire PS sortant. Ou en 1997, quand elle ambitionnait de disputer le perchoir de l'Assemblée à Laurent Fabius. «Pour elle, il n'y a pas de loi salique, analyse Jean-Pierre Mignard, tout le monde peut.»Plus jeune déjà, Marie-Ségolène Royal, en famille, «y était allée à bras raccourcis», poursuit Mignard. Au point d'assigner son père, Jacques, en justice, officier autoritaire et traditionaliste, pour qu'il s'acquitte de sa pension alimentaire. Devenue professionnelle de la politique, aurait-elle érigé l'émancipation en ambition électorale ? «On a toujours senti chez elle la volonté, parfois la crispation, de quelqu'un qui s'est fait à la force du poignet, résume Michel Sapin. Sur le thème : "Je sais ce que c'est de souffrir, je ne suis pas comme les fils de bourgeois." Elle a de l'audace. Ce qui peut paraître comme une impertinence à ses concurrents.»Ceux-ci, au fond, ont-ils vraiment cru en Royal ? Après l'abandon de Hollande, qui aura espéré jusqu'en septembre, Fabius et Strauss-Kahn, jusqu'au bout, n'auront de cesse de dégonfler la «bulle» sondagière et de démontrer l'absence de «fond» présumée de leur rivale. Un harcèlement de tous les instants, de l'affaire de la vidéo sur «les 35 heures au collège» en passant par le concerto en sifflets et lazzis du Zénith. Qui n'aura d'autre effet que d'effriter de quelques points l'imperturbable cote de la candidate. Leur mauvaise opinion de l'élue des sondages n'aurait-elle pas endormi la vigilance politique de ses rivaux ? «Ils vivent cette histoire comme un mauvais rêve, ironise un proche de la candidate. Et pensent toujours qu'il y aura un réveil.» Celui-ci a sonné en pleine nuit, retentissant.
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